Remittances diaspora climate change development matters

Diasporas, des acteurs invisibles de l’action climatique


Par Jason Gagnon, chef d’unité et économiste principal, Centre de développement de l’OCDE, et David Khoudour, conseiller mondial en mobilité humaine, PNUD


(This blog is also available in English)

Les diasporas jouent un rôle précieux dans la lutte contre les vulnérabilités climatiques dans les pays d’origine

Il est bien connu que les transferts de fonds contribuent de manière significative aux économies des pays à revenu faible ou intermédiaire : ils représentent en moyenne plus de 5 % de leur PIB. Ce que l’on sait moins, en revanche, c’est que l’aide apportée par les communautés à l’étranger est quatre fois plus importante dans les pays frappés par des catastrophes liées au changement climatique : en Haïti, au Honduras ou au Népal, les transferts de fonds représentent plus de 20 % du PIB.

Les diasporas ne sont pas seulement en première ligne de la réponse aux catastrophes climatiques, leur action est également profonde, et va bien au-delà du court terme : en plus d’envoyer de l’argent à leurs familles, elles investissent dans les soins de santé et la reconstruction, conçoivent et dirigent des projets d’adaptation au climat – par exemple pour l’accès à l’eau et à l’énergie durable -, aident à diversifier les moyens de subsistance et contribuent à renforcer la résilience des communautés locales, par exemple en améliorant la sécurité alimentaire et l’accès à l’éducation.

Les partenaires internationaux l’ont remarqué et ont ainsi lancé des projets visant à tirer parti des ressources, du dynamisme et des connaissances des diasporas pour agir sur le climat dans les pays vulnérables. C’est le cas, par exemple, de :

  • la Fondation africaine pour le développement (AFFORD), qui permet à la diaspora d’investir dans des entreprises vertes par le biais d’une plateforme de prêts participatifs ;
  • le Forum des organisations issues des diasporas (FORIM), qui encourage les jeunes Béninois à convertir les déchets organiques en briquettes de combustible, à créer des centres de recyclage et à réduire les déchets plastiques ;
  • le Fonds mondial pour la diaspora de l’Union européenne (EUDiF), qui promeut l’éducation climatique au sein de la société civile mexicaine avec l’aide d’universitaires de la diaspora.

Un angle mort dans l’action des bailleurs de fonds ?

Ces exemples – mis en lumière il y a quelques semaines lors d’un atelier préparant le 14e sommet du Forum mondial sur la migration et le développement (FMMD) qui se tiendra en janvier 2024 – restent pourtant exceptionnels : le Fonds pour la diaspora de l’Union européenne produit une cartographie permanente des pratiques mondiales qui révèle que seules 15 des 367 initiatives menées par les diasporas actuellement étudiées sont en faveur du climat ou « vertes ».



Pourquoi un tel angle mort dans l’action des bailleurs de fonds ? Pourquoi les migrants et les diasporas ne sont-ils pas reconnus comme acteurs du climat ? Sans doute parce que leurs initiatives ne sont pas explicitement présentées comme des actions liées au climat et qu’elles passent inaperçues aux yeux des bailleurs de fonds. Leurs efforts d’investissement dans l’agriculture durable, par exemple, relèvent généralement du domaine restreint de la production agricole ou du commerce économique, et non du climat.

Les bailleurs de fonds et leurs partenaires peuvent agir pour rendre les actions des diasporas visibles.

Tout d’abord, en encourageant la reconnaissance de leurs contributions à l’action climatique, afin d’établir leur crédibilité et leur légitimité auprès des autorités et d’instaurer la confiance. Les prix de la diaspora décernés par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) aux meilleurs investisseurs dans l’agro-industrie en Ouganda en sont un exemple et permettent de diffuser des modèles de réussite. Des programmes ciblés de sensibilisation, d’éducation et de formation, y compris l’échange d’expériences et de bonnes pratiques, peuvent aider les décideurs politiques à mieux se rapprocher des diasporas.

Ensuite, en intégrant le rôle des diasporas dans le processus politique des pays vulnérables au climat, en facilitant leur engagement dans tous les aspects de la planification et de l’élaboration des politiques nationales, y compris dans les documents stratégiques nationaux et thématiques. L’initiative « Making Migration Work for Sustainable Development » (M4SD) de l’OIM et du PNUD en est un exemple.

Enfin, en promouvant les investissements de la diaspora, par exemple en facilitant l’obtention de la citoyenneté ou l’obtention de cartes d’identité locales pour les entrepreneurs qui souhaitent enregistrer leur entreprise, et en développant des produits et des services adaptés aux besoins des investisseurs et investisseuses de la diaspora. Point positif : les nouvelles technologies permettent d’atteindre plus facilement les secteurs informels, où les diasporas opèrent le plus souvent, et permettent de mieux contrôler leurs opérations à distance, réduire leurs coûts et diminuer la fraude et la corruption. Par exemple, le projet Afford au Ghana est à l’origine d’une plateforme de prêt participatif pour canaliser les investissements de la diaspora dans des entreprises vertes. Plus spécifiquement, les capacités de mise en réseau et la créativité des jeunes membres de la diaspora sont des atouts à mobiliser. Le projet français « Génération climat » soutient les initiatives des populations jeunes issues de l’immigration et vivant en France pour lutter contre le changement climatique, tandis que l’initiative PowerSouth offre des services professionnels aux femmes gestionnaires et propriétaires de projets locaux en Inde.

Les diasporas sont des alliées majeures des gouvernements et des partenaires du développement durable qui cherchent à renforcer la résilience des pays les plus vulnérables au changement climatique, car elles disposent de ressources, de compétences et d’un dynamisme inégalé. Il est temps que les bailleurs de fonds et leurs partenaires saisissent cette opportunité.